Le Festival Interceltique de LORIENT est non seulement le rendez-vous incontournable de la culture Celte cosmopolite, mais aussi il permet des rencontres “coups-de-coeur”.
Après la “découverte” de l’auteur John Erich Nielsen que, Patricia Julien & moi-même, retrouvons chaque année avec plaisir Quai du Livre, il y a eu la rencontre avec “un personnage” très attachant, Jean-François Grare, Animateur/Reporter à RADIO SUD – Emission “Attitude Celtique” (Belgique).
Simone Audissou lui donne la parole!
Quant à nous, rendez-vous à Lorient du 6 au 15 Août 2010, Pavillon “Australie”
Maryline Faure
Simone Audissou
Tu disais qu’il y a des similitudes entre la civilisation celte et la civilisation aborigène ? Dans la musique notamment (au niveau des instruments), et également dans la manière de sentir la nature et de vivre avec la nature.
Jean-François Grare
Mais, on fait partie de la nature ! Si on replonge dans le passé, on a tous la même origine : la Terre. C’est notre mère ! A titre d’exemple, tu vas en forêt, tu te mets contre un arbre, eh bien tu te régénères. Tu en as besoin, alors tu t’ouvres. On a besoin de ces courants-là. Si actuellement notre société réagit à la destruction et la pollution de la nature, c’est parce que, inconsciemment, on sait très bien que la nature est notre mère à tous. Je pense que les Aborigènes sont très respectueux, et ont des valeurs que l’on retrouve dans les cultures celtes, et en particulier la première génération de Celtes.
Prenons un exemple-type que tout le monde connaît, Stonehedge : eh bien, ce fameux cercle des monolithes, on ne sait pas à quoi ça sert. Personne ne le sait. Pour les dolmens et les menhirs, on a découvert certaines choses, mais pour d’autres on est moins sûr. L’avantage que les Aborigènes ont par rapport à nous, c’est qu’ils n’ont pas été pollués par une autre civilisation, en tout cas pas avant l’arrivée des premiers Européens en 1606.
(NB : Les preuves scientifiques et archéologiques démontrent que l’occupation humaine, selon le lieu géographique du continent, date au maximum de 125 000 ans, avec une moyenne fixée à 40 000 ans environ. Pendant cette période, les Aborigènes ont développé en autarcie une culture qui leur est propre. Wikipedia). Donc, ils ont gardé ce que nous, nous avons perdu. N’empêche que le didgeridoo – que tout le monde apprécie pour sa tonalité, ses harmonies, etc. – et cet autre instrument que les Aborigènes font tournoyer au-dessus de leur tête et qui fait un certain bruit : pour ceux-là, on constate une relation directe entre le vent, la Terre et l’Homme !
SA : Les Maoris de Nouvelle-Zélande ont cette instrument à vent aussi.
J-FG : Nous, ici en Europe, on a le carnix que l’on a découvert il y a quelque temps, et d’autres instruments… Mais on ne sait pas comment les utiliser, on a perdu ce savoir-là. Je ne sais plus quel Breton a dit : « On ne naît pas Celte, on le devient ! » Quelle ouverture d’esprit ! Dire « Je suis celte ! » est très égocentrique. Alors, quand les Anglais sont arrivés en Australie, en pays conquis… Quel ego ! Heureusement que depuis 1606, les choses ont changé !
SA : Mais on a dit qu’on faisait aussi une interview sur toi… Tu es donc Belge. Peux-tu nous parler de ton pays ?
J-FG : Je suis de la Gaume (en Walonnie, dans le sud de la Belgique). La Gaume est une très belle région ! Les gens y ont une ouverture d’esprit aussi forte que celle des Bretons. Tout le monde, chez nous, a une obsession d’identité propre, parce qu’on nous a empêchés d’en avoir une. Parce que nous avons été dominés par les grandes forces européennes : espagnole, autrichienne, hollandaise, austro-hongroise, française, italienne. En tout cas, dans la région où j’habite ! La Gaume a donc ce côté potentiel de contacts humains : on est très sociable, très vivant, très joyeux… D’ailleurs, je conseille aux gens de découvrir la trappiste de l’Abbaye d’Orval (il n’y en a peut-être pas en Australie, mais il faudrait qu’il y en ait), une très bonne bière, une ambrée qui date depuis la création de l’Abbaye. Mais la vraie recette que l’on a actuellement date de 1936. La bière fonctionne très bien chez nous, parce qu’au départ tout le monde avait sa bière de table. Il y avait un brasseur dans chaque village. C’est un peu comme le cidre en Normandie et le cidre en Bretagne. Et, quand je parle de bière, je ne parle pas de la Pils (qui vient de Pilsen, village en Tchéquie): d’où le terme « pils », bière de grosse production, de grand brassage, qui n’a aucun goût, comme la Heineken, la Stella Artois, la Jupiler, la Kronenberg, etc…. Mais tout ça est une question de goût. Il y a des gens qui préfèrent les bières légères et sans trop de goût…
SA : La Belgique serait-elle le berceau de la bière ?
J-FG : Je pense que l’avantage qu’on a eu en Belgique, c’est qu’on a été cosmopolite, dans le sens où on a eu toutes les nationalités. On est un pays bâtard. Le peuple belge n’existe pas en lui-même. Avant cette arrivée massive de pays étrangers dont je parlais tout à l’heure, on a été à un moment celtes. À l’époque romaine, le nom Belgica existait déjà.
SA : En quoi certains aspects de la Belgique pourraient-ils être comparés à ceux de l’Australie ?
J-FG : À l’époque hollando-autrichienne (donc, Pays-Bas autrichiens), sous le règne des Habsbourg, et même avant, d’ailleurs, sous Philippe V, Philippe IV, Philippe II d’Espagne, je suis sûr que des Belges sont partis pour la conquête des mers et des terroirs. Leurs bateaux ont dû partir du port d’Anvers, de celui de Bruges. Ce serait intéressant de faire des recherches en ce sens. On peut se poser la question de savoir si les trafiquants de bières en Australie ne se sont pas inspirés des bases belges pour brasser leurs bières… Des Japonais et des Américains viennent bien chez nous ! L’histoire des différents royaumes a donné naissance à des fabrications de bières typiques. Toutes nos bières sont brassées avec plusieurs dizaines de houblons différents, cette fleur jaune très parfumée utilisée pour la conservation et l’amertume de la bière.
(NB : « Le houblon est également appelé : vigne du Nord, couleuvrée septentrionale, salsepareille indigène ». Wikipédia)
Seulement une ou deux bières sont brassées avec des herbes. Nous sommes des alchimistes, parce qu’à partir de houblon, de sucre, d’eau, d’orge et de levure… Ces cinq ingrédients-là donnent un peu plus de 1000 bières différentes chez nous. Ça, c’est la fabrication pure de la bière ! Alors, quand on ajoute des fruits, etc., dans leur composition, là on passe au système d’alambics, de gueuze, pour le côté un peu féminin, le côté sucré et léger. Mais la bière est d’abord amertume !
SA : La Belgique est-elle anglophone ?
J-FG : On est ouvert sur les langues, surtout au nord, les Flandres (qui ont quatre langues de base officielles : le néerlandais, le français, l’anglais, voire l’espagnol). Mais chez nous, dans le sud, la région wallone, qui se veut ouverte d’esprit, etc., l’anglais est enseigné en deuxième langue depuis une quinzaine d’années seulement. Pour des raisons politiques. (La Belgique est constituée de quatre régions : celle des Flandres, celle de Wallonie, la région germanophone, et la région de Bruxelles.)
SA : Selon toi, qu’est-ce qu’un peuple (les Anglais en Australie, par exemple) qui se mélange à un autre peuple – par la force souvent – peut-il bien apporter à ce dernier, et apprendre de lui ?
J-FG : Si on veut parler des bons fonctionnements inter-sociétés, moi j’aime évoquer une palette de couleurs. Chaque couleur a son charisme, c’est comme chaque tonalité, chaque ton, etc. On est tous différents… Tu peux avoir un tableau sublime, avec un milliard de couleurs différentes, du moment que le dosage équilibre la perception… C’est une marque déjà, la dose. Qui peut se permettre de dire qu’il fait le bon dosage ? Et là, on tombe dans un propos un peu philosophique. C’est un peu ma lithanie : je pense qu’il faudrait remettre la philosophie et la culture au goût du jour, l’expression verbale, l’élocution, l’échange. On a du mal avec tout ça, aujourd’hui ! Voilà ce qu’il faudrait enseigner aux jeunes gens !
SA : Ta palette de couleurs me fait penser aux peintures très colorées des Aborigènes… Je crois que c’est sur cette jolie image que cette interview va se terminer.
Merci, Jean-François, d’avoir bien voulu te confier à « ANTIPODE Mag« , le magazine numérique de l’Association France Australie (AFA Parif).
Propos recueillis par Simone Audissou
Photos : Simone Audissou & Patricia Julien
Carnix, instrument de musique celte au son singulier & très intéressant
Lien: http://www.youtube.com/watch?v=WA_EP16FUSU&feature=related